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Le Blogue de Manuel Ruiz
6 mars 2011

Le cabaliste Hans Weiland - Erckmann-Chatrian - Edition de Fernier - 1969

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Ce livre est un recueil de nouvelles fantastiques, écrites par Erckmann-Chatrian. L’édition de Fernier date de 1969.

 

La première nouvelle, « Le cabaliste Hans Weiland », donne son titre au recueil, même si elle n’en est pas la meilleure. Au total, une dizaine de textes sont proposés. « Hugues le Loup » est un mini-roman. D’autres se limitent à quelques pages.

 

J’ai découvert Erckmann-Chatrian dans mon adolescence, avec « Waterloo » et « Mémoires d’un conscrit de 1813 » (eh oui, je les ai lus dans le désordre). Je me souviens d’avoir été frappé par son talent et sa puissance d’évocation. Son récit de la bataille de Waterloo m’a semblé meilleur que celui de Victor Hugo, alors que ce dernier fait autorité. C’est plus tard que j’ai appris qu’il avait fait, aussi, du fantastique.

 

Je sais fort bien qu’Erckmann et Chatrian étaient deux personnes différentes, mais la littérature étant ce qu’elle est, je parlerai d’un écrivain, sans me perdre dans ces considérations. Tout d’abord, pour nous situer, ces nouvelles datent à peu près de la même époque que les « Récits Fantastiques » de Théophile Gautier : 1830 à 1845, à peu près. La comparaison est donc inévitable. Disons qu’elle se fait plutôt à l’avantage d’Erckmann-Chatrian : son style a mieux vieilli, et on peut le lire plus facilement aujourd’hui. Il est leste, rapide, et les descriptions sont beaucoup plus courtes. Presque le style de notre époque. Par moments, on se dit que « ce n’est pas du XIXè ». Une modernité étonnante. Modernité aussi dans le choix des sujets : ses histoires pourraient servir de base à des scénarios de films. Modernité, enfin, dans l’humour. Parce que la grande surprise avec lui, c’est celle-là : un écrivain du XIXè qui a de l’humour ! Avouons qu’on ne s’y attendait pas forcément. « Le bouc d’Israël » et « Entre deux vins » sont deux grosses farces. Mais en fait, les traits d’humour se retrouvent dans toutes les nouvelles. Ne serait-ce que par cela, Erckmann-Chatrian est notre contemporain.

 

Voilà pour le style. Et le reste, direz-vous ? Ah, vous avez raison. Mais notre auteur nous expose aussi une large variété de sujets, même si on reste dans le créneau du fantastique. Il semble s’être fixé le challenge d’étudier chaque pan du genre, ce qu’il fait avec bonheur. « Une nuit dans les bois » est un exercice de fantastique champêtre très réussi. « La reine des abeilles » est une merveille de poésie et de lyrisme. « Le Requiem du corbeau » et « Le violon du pendu » sont deux récits profondément symboliques et rejoignant par là l’épouvante, peut-être les meilleurs du recueil. « Messire Tempus » est une fable féroce sur le vieillissement retrouvant, hélas, la misogynie du siècle. La nouvelle du titre, « Le cabaliste Hans Weiland », est féroce aussi, et troublante : un ancien professeur de métaphysique, tombé dans la misère, se venge du monde en apportant le choléra ! Nous sommes dans l’étrange, plus que dans l’horreur, et notre auteur soigne les ambiances : le vent gémit dans la nuit, les oiseaux s’appellent dans les ténèbres, les souris trottent sur le plancher vermoulu. Du fantastique à l’état pur.

 

Malgré sa modernité, Erckmann-Chatrian est ancré dans son époque. Nous sommes sous Louis-Philippe, avec des diligences, des chevaux, des chapeaux haut-de-forme. On trouve encore des terrains vagues en plein cœur de Paris, et des chemins de terre un peu partout. Une époque, et un pays : l’Alsace. Pourtant, les histoires débordent parfois sur l’Allemagne ou la Suisse. Mais l’univers d’Erckmann-Chatrian, c’est la vieille et traditionnelle Alsace. Il nous parle de tavernes, de brasseries, d’auberges, de dindes farcies, de pâtés de foie gras, de vins blancs, de chopes de bière. Les gens vont à l’église, deviennent parfois maîtres de chapelle, se battent en duel. L’auteur n’est pas dupe et ses traits d’humour sont là pour montrer qu’il ne se fait guère d’illusion sur ses compatriotes, lesquels ont autant de défauts que les autres, mais rien n’entame sa tendresse pour l’Alsace et les Alsaciens.

 

Autre élément remarquable chez Erckmann-Chatrian : ce recueil ne compte pas une phrase antisémite. L’antisémitisme lui était étranger. Quand on connaît un peu le contexte littéraire de ce temps, c’est à signaler. Ainsi donc, moderne dans le style, dans les thèmes et dans la conception de la vie, le grand auteur alsacien est toujours là, nous proposant des nouvelles passionnantes à lire, et attendant simplement que nous les lisions. Qu’attendons-nous ? Vous me dites qu’elles datent de 170 années en arrière. Quelle importance ? Lisons, lisons.

 

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  • Manuel Ruiz, écrivain, scénariste, producteur de radio. Manuel Ruiz est membre de la Société des Gens de Lettres et de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques. Validation de formation à la SGDL le 08/10/2018.
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