Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blogue de Manuel Ruiz
7 octobre 2013

Saint-Just Oeuvres Complètes - Louis Antoine de Saint-Just - Folio Histoire - 2004

arton1770-5ae97

Ce volume de la collection Folio Histoire a été composé par Anne Kupiec et Miguel Abensour. Il s'agissait de regrouper l'ensemble des textes attribués à Louis Antoine de Saint-Just. Rappelons que Saint-Just, né le 25 août 1767 et guillotiné le 29 juillet 1794, fut un révolutionnaire français, élu de la Convention, membre du Comité de Salut Public et représentant en mission auprès des armées républicaines.

Dans ce livre, on trouve les textes suivants :

-Des oeuvres littéraires écrites avant la Révolution : Organt, La Raison à la morne, Arlequin Diogène, Epigramme sur le comédien Dubois.

-Des discours et des rapports présentés à la Convention Nationale, ou au Club des Jacobins.

-Les actes du Comité de Salut Public portant la signature de Saint-Just.

-Des rapports de missions auprès des armées révolutionnaires.

-Des écrits théoriques, sortes de projets politiques.

-Quelques lettres personnelles.

Le tout accompagné d'un avant-propos présentant le personnage et le replaçant dans son contexte historique.

Avant de commencer notre chronique, répondons tout de suite à une objection que nous devinons sans difficulté : dans ce volume, il s'agit bien de LITTÉRATURE, et c'est pourquoi nous faisons une  critique littéraire. En effet, Saint-Just a eu la « chance » de vivre à une époque où une parfaite maîtrise de la langue française, à l'écrit et à l'oral, était une condition incontournable pour faire de la politique. On peut regretter que ce ne soit plus le cas, mais passons. Ces textes, quels que soient leur nature et leur fond, sont donc tous intéressants à la lecture. J'oserai même ajouter que cette lecture est bien plus intéressante que celle de la plupart des livres publiés aujourd'hui. Opinion personnelle, bien entendu.

Autre mise au point : nous n'allons pas chroniquer tout le volume. Soyons francs : les textes écrits avant la Révolution ne nous permettent guère de nous faire une opinion concrète du talent littéraire de Saint-Just. Nous dirons que son style convenait peut-être à son époque, mais un peu moins à la nôtre. Pour rester diplomate, et pour évacuer ce chapitre. Quant aux écrits théoriques et autres lettres, ils sont si théoriques qu'on peut s'en passer aussi. Ainsi donc, notre étude se concentrera sur les discours, les actes du Comité et les rapports de mission. N'ayez crainte, cela représente déjà une sacrée tartine à lire.

Maintenant, nous pouvons commencer.

DISCOURS ET RAPPORTS : Concernant les rapports, c'est simple, puisqu'il suffit de les lire. Concernant les discours, c'est plus compliqué, car nous n'entendons pas la voix de Saint-Just à la tribune. Surtout, nous n'entendons pas les réactions de l'assemblée qui lui fait face. Nous ne pouvons que lire le texte. De là un sentiment de frustration et une difficulté à se replacer dans le contexte. C'est ainsi et on n'y peut plus grand-chose.

Répétons-le : tout cela est écrit dans un français impeccable. C'est une lecture littéraire, de haut vol, équivalente à lire un grand classique. En fait, c'est de la littérature. Pour aborder le fond, nous dirons aussi que ces discours si lointains portent en eux une actualité brûlante, et parfois une ironie d'autant plus mordante qu'elle est maintenant involontaire. Par exemple, Saint-Just assène : « On ne fait une république qu'à force de frugalité et de vertu. » Franchement, on est obligé de penser à la république actuelle, laquelle n'a peut-être pas hérité de ces principes ! Un autre exemple : « La tyrannie est un roseau que le vent fait plier et qui se relève. » Regardons le monde qui nous entoure : le moins qu'on puisse dire est qu'il avait vu juste !

Bon, disons-le honnêtement : tous ceux qui lisent ce livre font la même chose. C'est-à-dire qu'ils se précipitent sur LE discours de Saint-Just. Celui prononcé pendant le procès de Louis XVI, et dont on nous parle à l'école. En réalité, et c'est encore un rappel nécessaire, il y eut deux discours. Celui dont on se souvient est le premier. Il est présenté en permanence comme un sommet de fanatisme révolutionnaire. Par qui ? Eh bien, par des gens qui ne l'ont pas lu. Moi, je l'ai lu en entier. Et au risque de surprendre, voire de choquer, je dirai que je ne l'ai pas trouvé plus violent que pas mal de discours d'aujourd'hui. Je vous assure avoir lu, à propos de Sarkozy ou de François Hollande, des choses bien plus agressives et haineuses que ce que Saint-Just aligne sur Louis XVI. Serait-ce trop demander aux gens qui vilipendent la Révolution Française de se renseigner avant de parler ? D'autant que Saint-Just, à la différence de quelques propagandistes actuels, veille à argumenter ses raisonnements. Tout le monde connaît la phrase terrible : « On ne peut point régner innocemment. » Peu de personnes se donnent la peine de rappeler ce qui suit : « Les rois mêmes traitaient-ils autrement les prétendus usurpateurs de leur autorité ? » Eh bien, oui, navré de le rappeler, mais les rois capétiens eux-même avaient passé dix siècles à faire des procès comparables à ceux qui osaient se dresser contre eux. De Philippe le Bel à Louis XV.

D'autres discours demandent aussi à être replacés dans leur contexte. Les rapports sur les Anglais, ou sur les factions de l'étranger, peuvent nous paraître xénophobes : ce n'était évidemment pas le cas. Il se trouve, plus banalement, que la France était en guerre, ce qui explique l'existence de ces rapports. Quant au « rapport sur les personnes incarcérées », il faut bien avouer que le titre effraye quelque peu. Avant de découvrir qu'il s'agit « simplement » d'un texte administratif fixant les conditions de détention des détenus avant leur procès, et pas plus terrible que les textes actuels sur le même sujet. Déception ou soulagement ? Tout dépendra du point de vue de chacun, naturellement.

Le passage crucial de ce chapitre est évidemment le dernier discours, celui du 9 Thermidor, celui juste avant la fin. En le lisant, on ne peut s'empêcher d'imaginer l'ambiance épouvantable dans lequel il fut prononcé. J'aime bien la première phrase : « Je ne suis d'aucune faction. Je les ai ai toutes combattues. » C'est une profession de foi. C'est aussi un adieu. Celui d'un homme qui sait que sa pièce de théâtre va se terminer. Le discours est d'autant plus tragique qu'il s'interrompt brusquement. Saint-Just a choisi le silence. Alors qu'il avait encore tant à dire. Il s'en est allé en nous laissant tant et tant de questions sans réponse. Deux siècles après, on le déplore toujours.

ACTES DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC : Je vais l'avouer sans détour : c'est la partie du livre que j'ai préférée. En effet, avec les

Saint-Just-French_anon-MBA_Lyon_1955-2-IMG_0450

Actes du Comité de Salut Public, nous sortons de la théorie et des grands discours un peu flous pour entrer de plein-pied dans la réalité concrète et quotidienne de la Révolution Française. Naturellement, cette dernière se révèle fort différente de celle que nous nous plaisons à imaginer. Loin des débats sur l'organisation de la société, les droits de l'homme ou le sort du Roi, nous découvrons la vie des Français sous la Révolution : les subsistances, le ravitaillement, la hausse des prix, le marché noir. Ce n'est pas très enthousiasmant ? Oui, je sais. Mais c'est bien de cela que s'occupaient la Convention et le Comité de Salut Public. C'est bien de cela que traitent les Actes. Pour la seule journée du 16 août 1793, on trouve trois actes signés par Saint-Just et ordonnant de laisser entrer dans Paris des charrettes chargées de farine. Ailleurs, on en trouve d'autres ordonnant de décharger des navires de blé et de transporter les grains jusqu'à Paris sous escorte. On vend des vins, ou du poisson, aux enchères pour financer l’État. On cherche du chanvre ou du bois pour équiper la Marine. Voilà la « vraie » Révolution Française, celle à laquelle a participé Saint-Just et dont il nous laisse un témoignage de première main.

D'autre part, les Actes du Comité de Salut Public sont intéressants pour se faire une idée plus précise de Saint-Just et de ses collègues révolutionnaires. Bien entendu, ils se révèlent un peu différents de ce que la légende a figé. Des fanatiques pourchassant les gens avec acharnement pour les guillotiner sous n’importe quel prétexte ? Ces textes nous présentent un autre visage de ces hommes. D’août 1793 à mai 1794, on voit défiler des Actes appelant à la modération et à la justice : on recommande aux représentants de la Révolution de ne pas condamner les suspects sans preuves, de veiller à ne pas condamner des innocents. On ordonne que les prisonniers soient correctement traités. On ordonne que des personnes injustement accusées soient remises en liberté, et qu’elles reçoivent une compensation financière. À la date du 13 avril 1794, Saint-Just ordonne de libérer une femme qu’il avait fait arrêter lui-même, n’hésitant pas ainsi à reconnaître son erreur. En mars 1794, on trouve un acte, signé par Saint-Just et Robespierre, appelant à la clémence pour la ville de Champs, soupçonnée de trahison. Je n’invente rien : tout cela est écrit et signé. On lit aussi des actes accordant des pensions pour récompenser les bons serviteurs de la République. Nous voici loin, très loin, de l’image de « monstres sanguinaires » qu’on a fabriquée par la suite.

Et puis arrive la période noire : juin-juillet 1794. Un malaise s’installe. À partir de juin et jusqu’au 9 Thermidor, la quasi-totalité des actes concernent des arrestations, des arrestations, des arrestations. Il est aisé de deviner ce que sont devenues les personnes arrêtées. Que s’est-il passé ? Pourquoi ce basculement ? Le saurons-nous un jour ? D’ailleurs, quelqu’un cherche-t-il vraiment à le savoir ? Saint-Just aurait pu nous le révéler face à la Convention. Il a préféré se murer dans le silence, nous laissant pour toujours dans l’ignorance.

RAPPORTS DE MISSION : Ils s’inscrivent dans la continuité des Actes du Comité de Salut Public. Sauf que nous restons dans le cadre des opérations militaires. Saint-Just accomplit des missions : auprès de l’Armée du Rhin en octobre-novembre 1793, auprès de l’Armée du Nord en avril-mai 1794. Il les accompagne à la guerre. Qu’un révolutionnaire tel que lui, probablement anti-militariste à la base, soit devenu représentant aux armées provoque un petit sourire. Mais c’est une des multiples ruses de l’Histoire. D’ailleurs, il prend sa tache très à cœur et la résume ainsi : « Nous sommes venus punir les lâches et récompenser les braves. »

Et c’est bien de cela qu’il s’agit. En parcourant ces rapports, on est frappé par la constance de Saint-Just à défendre les soldats. Sans arrêt, inlassablement, il exige qu’on leur donne de la bonne nourriture, qu’on leur fournisse des vêtements et des chaussures. Il ordonne que les bons soldats soient récompensés. Il va même jusqu’à envoyer des messages pour que les familles des soldats, en difficulté, soient soutenues par le gouvernement. Ces hommes qui se battent pour la République, il les considère comme des êtres humains et insiste pour qu’ils soient traités en tant que tels. Tout cela est écrit et signé. Ah, on aurait aimé que les gouvernements de 1914-1918 montrent la même compassion pour les poilus survivant dans les tranchées ! Hélas, nous savons que ce ne fut pas le cas. Passons.

S’il est constant pour défendre les soldats, Saint-Just l’est aussi pour exiger le maximum de leurs chefs. Les généraux de la République doivent prendre leurs responsabilités. Un général a fait battre en retraite : on lui envoie une lettre pour le sommer de donner des explications. Un autre général refuse de dormir sous la tente, comme ses soldats : il est destitué. Ceux qui s’occupent du ravitaillement des armées doivent justifier leurs dépenses et leurs gains. Inflexible, Saint-Just force tous les intervenants de la guerre à faire ce qu’ils doivent faire.

CONCLUSION : On peut s’étonner de trouver le nom de Saint-Just sur la couverture d’un livre. Finalement, on n’est pas déçu. Ce livre vaut vraiment un effort. Sur le plan littéraire, c’est une lecture digne d’un grand classique. Répétons-le : c’est écrit dans un français impeccable. Sur le plan historique, c’est un document passionnant et parfois saisissant. Les ennemis de la Révolution Française (qui semblent se multiplier aujourd’hui) ont accusé Saint-Just de tout et de son contraire. Sous sa propre plume, il se révèle à nous tel qu’il était : pétri de contradictions. Comme nous le sommes nous-même. En refermant le livre, on se sent plus proche de lui qu’en l’ouvrant.

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Blogue de Manuel Ruiz
  • Manuel Ruiz, écrivain, scénariste, producteur de radio. Manuel Ruiz est membre de la Société des Gens de Lettres et de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques. Validation de formation à la SGDL le 08/10/2018.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Le Blogue de Manuel Ruiz
Derniers commentaires
Newsletter
Publicité